Dans un entretien exclusif, le Directeur Général de l’Académie Nationale de football (ANAFOOT) parle de ses débuts dans le domaine de l’entrainement et son évolution. Il évoque également ses réalisations à la tête de l’ANAFOOT et la situation du football au Cameroun.
Parlez-nous de vos débuts dans la sphère sportive
Le sport et moi, c’est une affaire de berceau, permettez-moi de le dire. J’étais assez jeune, lorsque j’ai été épris pour les activités sportives. Lorsque le cycle secondaire s’est ouvert à moi, je n’ai pas hésité à participer aux Jeux Scolaires OSSUC. Ce qui a contribué à renforcer ma passion pour le sport. Chemin faisant, je me suis focalisé sur le football. Dans ce domaine, j’ai eu une assez belle carrière locale. J’ai contribué à animer le championnat national puisque j’ai été sociétaire de plusieurs clubs de première division. A la suite de mon admission à l’Institut National de la Jeunesse et des Sports (INJS, Ndlr), l’intérêt pour la pratique de cette activité s’est considérablement accru.
Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir entraineur ?
(Sourire). L’entraînement est venu à moi. J’ai eu des mentors. Et comme footballeur, je copiais tout ce que les entraineurs faisaient. Figurez-vous que j’avais acheté un cahier, à chaque entraînement, chaque exercice donné, sans rien comprendre, je notais machinalement ce que les entraineurs proposaient. Il faut rappeler que j’étais également joueur. Lors de ma sortie de l’INJS, je pensais poursuivre ma carrière de footballeur. Un jour, appelé par Jean-Pierre Sadi, ce dernier m’a dit : « Enow, attends. Crois-tu rester footballeur toute ta vie ? Il faut penser à ta reconversion. Je ne souhaite plus que tu continues à jouer. Je vais te donner les moins de quinze ans de Njalla Quan Sport Academy. » De la parole à l’acte, j’ai été désigné coordonnateur de cette catégorie et j’y ai pris goût. J’étais au sein de la Njalla Quan Sport Academy, entraîneur-joueur. Le travail étant ardu des deux côtés, j’ai dû me dire : Non, stop! A côté de cette expérience avec Jean-Pierre Sadi, j’ai bénéficié de l’encadrement de Alexandre Belinga à qui je dis encore merci. Il était capable de m’expliquer pourquoi il faisait tel exercice avant même que je ne sois entraineur. Même étant étudiant à L’INJS, à tout moment dès que j’avais des questions par rapport à l’entrainement, il n’hésitait pas à m’orienter. Tous m’ont permis de grandir. Je peux également citer Pierre Ndjili Ndengue, feu Gérard Mbimi, Emmanuel Ndoumbe Bosso, vraiment ils sont tellement nombreux qui m’ont inspiré…
Quelles sont les missions qui vous sont assignées par la Top Management de la FECAFOOT ? Comment se passe leur implémentation sur le terrain dans un environnement où le football féminin évoluait dans l’ombre et la précarité ?
A mon arrivée, j’ai été appelé par Monsieur le ministre des Sports qui m’a communiqué ma feuille de route. A cette époque-là, FECAFOOT et ministère travaillaient main dans la main. Il faut reconnaître que le ministère des Sports et de l’Education Physique était une puissante structure bien implantée. Ma mission était donc de rebâtir l’équipe nationale. La deuxième mission était de créer les équipes nationales féminines jeunes. J’ai créé ces équipes à savoir les U17 et U20. J’étais d’ailleurs le premier entraineur de toutes ces catégories jeunes. La troisième mission était de penser à l’avenir. Il y avait déjà un groupe de joueuses qui devait quitter la sélection nationale féminine A. L’effectif devait être revu de fait même si l’on y retrouvait des joueuses très talentueuses. C’est une génération dont la carrière s’arrêtait en 2004. La question de la discipline n’était pas en reste.
Lancé sur le chantier de construction d’une équipe compétitive, comment se passe la détection des talents ? Et quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
J’allais à la rencontre des parents, j’allais dans les lycées où les filles étaient. J’expliquais pourquoi la fille devait jouer au football. Il fallait convaincre les parents et les parents m’ont fait confiance parce que ce n’était pas donné. Les parents demandaient toujours : « Nous avons suivis des choses se dire lorsque les filles jouent mais qu’est-ce que cela garantit ? » Il a fallu que j’explique encore et encore et je suis content parce que certains parents ont accepté et je pense qu’il n’y a pas de regrets aujourd’hui. L’éducation des parents est primordiale. Si la famille rejette votre demande ça devient un peu très compliqué, donc rapprochez-vous toujours de la famille, causez avec les parents, soyez un parent, un ami pour ces jeunes filles, comportez- vous comme un père pour ces jeunes filles. Bref, c’est ce que j’ai fait et elles pouvaient se confier à moi. Je pouvais toujours les trouver des solutions. En cas de problèmes, j’invitais toujours les parents, et quand j’expliquais aux parents les différents problèmes, ces derniers se mettaient à pleurer des fois. Bref, c’est tout ce que je faisais. Je connais les parents de toutes les filles avec qui j’ai travaillé. Après, je suis allé vers les clubs, discuter avec les présidents de clubs, les éducateurs et j’ai facilité l’implication de tout le monde dans la construction du bien-être de la jeune fille.
Le Cameroun commence à jouer les premiers rôles sur la scène continentale et participe même aux Jeux Olympiques en 2012 et à la Coupe du Monde en 2015. Comment vivez-vous cette période de gloire des Lionnes ?
Nous nous qualifions en 2012 pour les J.O après un match très difficile. A Londres, nous allions beaucoup plus apprendre et réaliser des photos avec des stars olympiques telles que USAIN BOLT : c’était une aventure. Lors de la première rencontre face au Brésil, nous avons compris qu’il faut rentrer travailler. J’ai compris que je ne connaissais rien. Je me suis rendu aussi compte que même dans l’entrainement j’avais tout faux, dans la gestion d’un groupe ce n’était pas ça et de l’autre côté, j’ai gagné en expérience sur comment se comporte le haut niveau, ce qu’il y a lieu de faire et ce qu’il n’y a pas lieu de faire. Ce passage aux J.O. nous a permis d’améliorer la gestion du groupe. Munis de cette expérience, en Coupe du monde 2015, nous avons eu l’une des meilleures conditions en termes de préparation au Canada. Lorsque nous nous qualifions pour le prochain tour, le match contre la Chine, nous avons manqué de concentration, tout le monde n’était plus dans la compétition et on voulait déjà rentrer au CAMEROUN d’où la défaite par un but à zéro. En somme, ce sont des moments exceptionnels et inoubliables où nous avons essayé de représenter valablement le Cameroun et même l’Afrique. Il est vrai qu’on souhaitait aller au-delà mais nous nous réjouissons des résultats engrangés au cours de ces rendez-vous sportifs internationaux qui restent mémorables.
En 2016, votre pays abrite la CAN Senior Dames de football. La sélection nationale est au top de sa forme et constitue beaucoup d’attentes. Dans quel état d’esprit le groupe prépare, aborde et dispute la compétition ?
C’est pour la première fois que notre pays organisait la CAN féminine et les pouvoirs publics ont pris toutes les dispositions pour que l’équipe réalise des résultats probants. C’est dans la sérénité que l’équipe s’est préparée à travers des séances d’entrainement et des matchs amicaux. Elle a d’ailleurs abordé la compétition avec beaucoup de détermination bien qu’elle n’ait malheureusement pas réussir à soulever le graal.
Nourrissez-vous certains regrets enregistrés durant votre passage au sein de la sélection nationale ?
Oui, surtout avec les U17. A l’époque j’avais les trois catégories. Nous ne nous sommes pas qualifiés pour la Coupe du monde pourtant nous avions besoin d’un match nul contre le Ghana. Nous perdons la qualification à cinq minutes de la fin du match. C’était l’un des plus grands regrets. La deuxième chose, c’est lorsqu’on perd la finale de la CAN ici à Yaoundé où on jouait devant notre public. C’était rageant de perdre en direct, devant le peuple camerounais. Il y a eu des pleurs, tellement de regrets et des interrogations. Mais une chose que je sais, c’est que notre passage a permis aux filles d’être intégrées dans la société. Aujourd’hui, je suis fière parce que je vois certaines qui jouent en champions League féminine, d’autres ont changé la vie de leur famille, d’autres aujourd’hui sont des grandes dames d’affaires. A travers le travail abattu, de nombreuses joueuses ont pu intégrer de nombreux clubs étrangers.
Le 24 Mai 2017, vous êtes nommé Directeur Général de l’ANAFOOT. Cette décision du Chef de l’Etat apparait auprès de l’opinion publique comme une récompense pour le travail que vous avez abattu dans le cadre du développement du football féminin au Cameroun. On imagine que vous l’avez perçu comme un autre challenge…
Je voudrais d’entrée de jeu exprimer toute ma sincère gratitude au Chef de l’Etat qui a bien voulu me nommer à la tête de cette institution. La nomination est discrétionnaire et seul celui qui a l’impérium connait les raisons pour lesquelles il vous choisit. C’est justement un autre challenge dont les axes majeurs sont la formation des jeunes à la pratique du football de haut niveau et la professionnalisation de l’environnement du football camerounais. Mes collaborateurs et moi nous attelons à mettre en œuvre cette vision présidentielle ô combien importante et exaltante.
Quel bilan pouvez-vous faire des actions menées par l’équipe que vous dirigez au sein de l’ANAFOOT de 2017 à ce jour ?
Mon équipe et moi avons mené plusieurs actions et à ce jour, la structure dispose de deux mille (2000) jeunes footballeurs (filles et garçons) des catégories poussins, benjamins, minimes et cadets sélectionnés à travers six (06) sessions de détections. Ceux-ci suivent leur formation sur la base des contenus de programmes de formation validés chaque année par le Conseil des Etudes. De ces jeunes, cent quarante (140) ont intégré les clubs des championnats de football professionnel, amateurs, et Guinness Super League. Une trentaine (30) a d’ailleurs déjà participé aux compétitions internationales avec les différentes sélections nationales féminines et masculines des catégories inférieures du Cameroun (A’, U20, U17). Pour ce qui est de la formation aux métiers liés au football, mille trois cent (1300) autres acteurs ont été formés en administration, entrainement, Technologies de l’Information et de la Communication, analyste vidéo. Plusieurs séminaires de renforcement des capacités ont été organisés à l’attention des responsables des clubs à différents niveaux.
Au regard de l’absence de compétitions permanentes en matière de football jeunes organisées par la FECAFOOT sur le territoire, que fait l’ANAFOOT pour permettre à ses pensionnaires d’être compétitifs ?
Pour permettre à nos jeunes d’être compétitifs, outre notre participation aux compétitions organisées par la FECAFOOT sous l’égide de sa Ligue Spécialisée, nos jeunes sont présents aux compétitions organisées par les mécènes et autres structures comme les Boissons du Cameroun (Tournoi Njitap, Tournoi international de Limbe, Easter Cup), les Tournois MEVCUDA, UNITED CUP, Tournoi International Semences Olympiques. Dans les pôles régionaux, le samedi est consacré uniquement à l’organisation des matches. Dans la perspective de créer une certaine émulation, de favoriser le brassage culturel, d’évaluer les contenus de programme de formation et surtout de donner une certaine visibilité aux jeunes, une compétition baptisée « Tournoi des talents des pôles régionaux » a été créée. Elle regroupe les meilleurs de nos dix (10) structures annexes et constitue le lieu par excellence de détection et de recrutement des clubs du championnat de football professionnel. Nous organisons également des regroupements pendant les périodes de congés et de vacances au cours desquels les jeunes livrent des matches amicaux.
Que deviennent les joueuses et joueurs formés par l’ANAFOOT ?
Comme je l’ai indiqué plus haut, certains joueurs et joueuses formés au sein de l’ANAFOOT appartiennent à des clubs des championnats de football professionnel, amateurs, Guinness Super League. Leur placement au sein desdits clubs est matérialisé par des conventions d’accord parties. D’autres représentent le pays lors des compétitions internationales dans les catégories inférieures.
Quels rapports entretient l’ANAFOOT avec les autres académies de football, la FECAFOOT et le MINSEP ?
L’ANAFOOT entretient de bonnes relations avec toutes ces structures. Ce sont nos partenaires. Elle a d’ailleurs des conventions de collaboration avec certaines académies à qui elle apporte un accompagnement technique et matériel. Le Ministère des Sports et de l’Education Physique est sa tutelle technique et veille à la mise en œuvre des missions à elle assignées. Avec la FECAFOOT, la collaboration est franche dans l’atteinte de nos objectifs. A travers sa plateforme FIFA-Connect et TMS, nous procédons à l’élaboration des licences et le placement des joueurs. Elle nous accompagne également dans l’établissement de certains documents (autorisation de sortie, passeport de joueurs) et l’organisation de certaines formations aux métiers liés au football.
En tant que formateur, quelle stratégie proposez-vous de mettre en place pour permettre à toutes les sélections nationales d’être compétitives et de travailler véritablement en chaine avec une politique technico-tactique globale ?
Beaucoup parlent d’une identité de jeu propre au football camerounais et ont des raisons pour lesquelles ils évoquent cet aspect. Même si je pense que la proposition est pertinente, je suggère qu’au-delà de cet aspect, que nous insistions sur le processus de formation à travers les principes de jeu. Lesquels pourront permettre à nos joueurs de voir quelle attitude adopter lorsqu’on est en possession du ballon et lorsqu’on ne l’est pas. Notre football connait de sérieux problèmes tactiques et aujourd’hui nous ne pouvons pas rester focaliser sur le plan physique au regard du profil de ces derniers.
Monsieur ENOW NGACHU, la saison sportive 2024 est sur les rails. Quelles sont les principales articulations du chronogramme d’activités de cette saison au sein de l’ANAFOOT ?
Le chronogramme de l’ANAFOOT porte sur la poursuite de la formation au sein des pôles, l’organisation des regroupements, des tournois des talents et des académies, la participation aux compétitions organisées par la Ligue de Football Jeunes, aux tournois (Njitap, EASTER CUP, Semences, MEVCUDA, CHEDJOU), l’organisation des formations aux métiers liés au football, le renforcement des capacités des acteurs du football, l’organisation de la campagne de détection-sélection, la recherche fondamentale et appliquée.
Pour finir, quelles sont vos ambitions à court, moyen et long terme pour l’ANAFOOT?
Mes ambitions pour L’ANAFOOT vont avec le management de la structure et tout ce qui tourne autour de la structure. A moyen terme, nous avons déjà fait tout ce qu’il faut. Les structures sont en place, nous avons les pôles. Si nous avons les infrastructures qu’il faut, notre souhait c’est qu’on puisse contribuer à ce que les équipes nationales camerounaises, toutes catégories confondues soient d’abord fortes avec des effectifs majoritairement constitués des produits de l’ANAFOOT. Nous voulons retrouver tous nos joueurs dans le championnat camerounais afin de relever le niveau de jeu de ces derniers pourquoi ne pas disposer d’au moins 60% des effectifs des clubs locaux. Notre plus grand plaisir est de voir des pensionnaires de l’ANAFOOT permettre à un club camerounais de remporter la finale de la Champion’s League africaine. Nous nourrissons plusieurs autres ambitions parmi lesquelles : l’organisation de manière permanente des sessions de détection-sélection, la recherche des partenaires fiables dans la perspective de la mutualisation des forces à travers la signature des conventions, l’ouverture du Centre de Formation et du Centre Médico-Sportif et Social pour la formation des jeunes en régime internat et la prise en charge médicale des sportifs, la création d’une photothèque, vidéothèque et bibliothèque pour la constitution de l’histoire du football Camerounais, la multiplication de la recherche et des compétitions en vue de s’arrimer à l’évolution de la science et la compétitivité des jeunes.
Propos recueillis par J.N.K et la DIRCOM ANAFOOT
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